Dmitriev M. V. Les confréries de Ruthénie dans la deuxième moitié du XVIe siècle - une "Réforme orthodoxe" ?// Etre catholique, être orthodoxe, être protestant. Confessions et identités culturelles en Europe médiévale et moderne. Études réunies et publiées par Marek Derwich et Mikhaïl V. Dmitriev. Wroclaw: LARHCOR, 2003. P. 208-220(Статья дается в авторской редакции).
Une abondante bibliographie est consacrée aux confréries ukraino-biélorusses[1]. Comme les sources sont très pauvres quant à l'origine et aux premières étapes du développement des confréries, cette question reste très discutée. De toute première importance est la conclusion formulée par Ja.D. Isaevic de façon très probante : "Conformément à la terminologie des sources elles-mêmes, il convient d'appeler confréries les organisations qui se sont développées en Ukraine occidentale à partir des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du XVIe siècle"[2]; alors que les institutions des périodes précédentes qui impliquaient les laïques dans la vie de l'Eglise et auxquelles on donne habituellement le nom de confréries ne s'appelaient pas ainsi et n'étaient pas des confréries. Nous savons pourtant que des laïques, en particulier des citadins, participaient activement à l'administration des églises et de leurs biens avant le milieu des années quatre-vingt du XVIe siècle. Comment peut-on comprendre cette immixtion des laïques dans les affaires de l'Eglise et en quoi consiste essentiellement les changements survenus à la fin du XVIe siècle? Aujourd'hui on peut affirmer sans hésiter que les différentes formes de contrôle de la vie ecclésiastique exercées par les laïques aux XVe-XVIe siècles constituaient une tradition spécifiquement orthodoxe dont l'expression la plus constante avait été le droit de patronat[3]. Le droit de patronat a servi de fondement au changement qualitatif de situation qui se produisit dans les années quatre-vingt du XVIe siècle. En effet, à partir en gros de 1585, à l'initiative des patrons laïques de l'Eglise, il se produisit dans les rapports entre les laïques et le clergé une sorte de réforme qui fut approuvée, d'abord par Joachim, patriarche d'Antioche, puis par Jérémie, patriarche de Constantinople. La réforme avait été préparée par l'action des habitants de L'vov (L'viv) dans les années soixante-dix et quatre-vingt du XVIe siècle. En quoi consistait cette réforme? On peut se représenter très clairement son programme en lisant la charte réglementaire (ustavnaja gramota) de la confrérie de L'vov, validée par le patriarche d'Antioche Joachim, le 1er janvier 1586, lors de sa visite à L'vov[4]. La règle en question dotait la confrérie de très larges pouvoirs qui restreignaient considérablement les prérogatives de l'évêque et du métropolite. Le caractère radical de cette règle est frappant. Sa première partie fixe les règles d'entrée dans la confrérie et les principales questions concernant son activité. Dans la seconde partie, Joachim, au nom de "l'assemblée des patriarches" donne "pouvoir à cette confrérie ecclésiastique de démasquer (oblicati) celui qui est contraire à la loi du Christ et d'exclure de l'église tout [fauteur de] désordre (bescinie)". Les pouvoirs conférés à la confrérie pour lutter contre les "désordres" étaient d'une étendue inhabituelle. L'évêque et l'archiprêtre devaient "refuser leur bénédiction" (neblagoslavljati, au sens fort : maudire) à celui que la confrérie excluait de l'église "par l'intermédiaire de son prêtre" (art.28). La confrérie obtenait aussi le droit de "désigner verbalement ou d'avertir par écrit" ceux qui vivaient "contrairement à la loi, qu'ils soient laïques ou clercs" (archiprêtre, prêtre, diacre, ou autre détenteur des ordres mineurs). Et ceux qui se montreraient rétifs seraient dénoncés à l'évêque. Ce contrôle s'étendait sur toutes les églises orthodoxes de L'vov et sur "toutes les autres confréries" (art. 29, 32). La même situation se reproduisait pour les autres confréries urbaines (art.35). Les prêtres devaient être soumis à une surveillance particulière. Ceux qui fréquentaient les cabarets, prêtaient à intérêt, se livraient à la débauche (les textes parlent de "popes fornicateurs" -popy bludniki), étaient bigames, ou s'adressaient à des magiciens devaient être dénoncés à l'évêque, en étayant l'accusation sur le témoignage de "deux hommes chrétiens" (art.36-38). Toutes les autres confréries devaient se soumettre à celle de L'vov (art.33-34). L'évêque n'avait pas le droit de juger de son propre chef les membres de la confrérie qui s'étaient rendus coupables d'un délit (art.31). En outre, la confrérie se voyait reconnaître le droit de désobéir ouvertement à un évêque indigne. "Et si l'évêque va à l'encontre de la loi, de la vérité, dirige l'Eglise contrairement aux règles des saints apôtres et des saints pères, entraîne les justes dans l'iniquité, prête la main aux impies, tous doivent s'opposer à un tel évêque, comme à l'ennemi de la vérité" (art.30). De son côté, l'évêque, ne se voyait pas reconnaître le droit de s'opposer à la confrérie [5]! Tout fidèle, de l'archevêque au plus modeste clerc, ou au simple laïque qui oserait s'opposer aux exigences de la confrérie, s'exposerait à la malédiction de la communauté et de tous les patriarches ("et qui s'opposerait à cela et enfreindrait cette règle spirituelle, qu'il soit archevêque, évêque, archiprêtre, prêtre, diacre, ou tout autre clerc, des gens du prince ou des laïques, que s'abatte sur lui notre malédiction, la malédiction des quatre patriarches œcuméniques et la malédiction des saints pères théophores des sept conciles œcuméniques" (art.41). Il semble que le potentiel explosif de ce document, pourtant évident, n'a pas été suffisamment apprécié par les spécialistes de cette période. Dans les faits, il s'agissait d'une redéfinition radicale des rapports entre le clergé et les laïques, ces derniers usurpant le pouvoir au sein de l'Eglise. Le caractère révolutionnaire de ces ambitions nous est un peu dissimulé par la tradition du patronat. En outre, il est clair qu'une telle situation ne pouvait résulter que des spécificités de l'ecclésiologie orthodoxe. Le plus piquant est que cette usurpation du pouvoir de l'Eglise n'était absolument pas ressentie comme une atteinte aux traditions ecclésiastiques. Les membres de la confrérie ne se percevaient pas comme des réformateurs, des "protestants de l'Orthodoxie" et, d'un point de vue subjectif, n'en étaient pas. En effet, ils se reposaient implicitement sur des conceptions ecclésiologiques propres à la tradition orthodoxe, sur sa conception du rôle des laïques dans l'Eglise. L'absence d'une structure politique orthodoxe, d'un "royaume orthodoxe" au sein de la République polono-lituanienne fit que l'idée de la symphonie du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, héritée de Byzance, fut interprétée sous cette forme paradoxale. Le 15 janvier 1586, le patriarche Joachim adressa aux orthodoxes de la République une encyclique les priant de prêter leur concours à la confrérie de L'vov qui entreprenait d'ouvrir une école, une imprimerie, un hôpital, et de construire une nouvelle église[6]. En novembre 1587, le patriarche de Constantinople Jérémie adressa une lettre à l'évêque de L'vov Gédéon Balaban, dans laquelle il lui interdisait expressément, et en des termes très durs, de s'opposer à l'action de la confrérie[7]. En 1588, la confrérie de Vilna (Vilnius) présenta au métropolite Onésiphore Devocka un règlement semblable à celui de la confrérie de L'vov[8]. Ce règlement fut confirmé la même année, lorsque le patriarche Jérémie visita Vilna. Par une charte du 1er décembre 1588, Jérémie confirma aussi le règlement que Joachim avait donné à la confrérie de L'vov[9]. En novembre 1589, à la demande des membres de la confrérie, Jérémie octroya encore une autre charte concernant le règlement[10]. En 1593, la confrérie de L'vov reçut de lui le statut de stavropégie qui la plaçait sous la juridiction immédiate du patriarche de Constantinople. Les membres de la confrérie se trouvaient ainsi soustraits à la tutelle de l'évêque, mais aussi du métropolite. Les règlements d'autres confréries de la République furent composés sur le modèle des règlements des confréries de Vilna et de L'vov. On vit en effet se former des confréries dans plusieurs villes et bourgades: à Krasnyj Stav, Rogatino (1589), Brest, Grodok, Gologory (1591), Komarno (1592), Bel'sk, Lublin (1594), Galic (v.1594) etc. De nouvelles confréries furent constituées encore après 1596: à Staraja Sol' (1600), à Mogilev et dans d'autres centres. Au début du XVIIe siècle, des confréries sont attestées à Drogobyc, Sambor, Sanok, Kamenec, Strumilova, Zamost'e. D'après les observations de Bienkowski, les confréries d'un type réformé s'organisaient plutôt dans les diocèses orthodoxes occidentaux[11]. La ratification du statut des confréries de L'vov et de Vilna par les patriarches orientaux constitue un tournant dans l'histoire des confréries orthodoxes d'Ukraine ou de Biélorussie. Dans les faits, comme nous l'avons vu, la charte du patriarche Joachim et le règlement de la confrérie de L'vov qu'il ratifia émancipèrent la confrérie du contrôle de l'évêque et même placèrent ce dernier sous le contrôle tatillon des membres de la confrérie. En obtenant le statut de stavropégie, la confrérie de L'vov échappa aussi à l'autorité du métropolite, tout en conservant des pouvoirs de contrôle très étendus sur le clergé. De facto, un système de double pouvoir avait été instauré dans l'Eglise ukraino-biélorusse. La crise ecclésiastique revêtit des aspects tout à fait inédits.
Le mouvement des confréries et son idéologie On peut se faire une idée assez juste des tendances que représentaient les confréries et de leur idéologie à travers les questions que la confrérie de L'vov adressa à Théolipte, patriarche de Constantinople, en mai 1586[12]. Le but déclaré de la confrérie était "de veiller à éviter les actes méchants, d'accomplir avec zèle ce qui est bon» et elle demandait pratiquement au patriarche si elle pouvait assumer les fonctions traditionnellement et canoniquement dévolues aux évêques. Convient-il aux laïques "de parler ou d'écrire aux prêtres ou aux évêques qui corrompent les commandements de Dieu, la tradition des saints apôtres et des saints pères et qui conduisent à sa perte le troupeau du Christ"? Ils remettaient clairement en question la nécessité de l'obéissance à l'évêque: "Comment convient-il d'éviter ce désastre, comment se soumettre ou ne pas se soumettre à ceux-là, ou bien comment et par quels moyens leur résister suivant la piété, comment chacun peut-il éviter le scandale et sur quels préceptes, quels principes convient-il de vivre à ceux qui sont laïques ?" Dans les faits, de nombreuses questions étaient purement rhétoriques et l'on n'attendait seulement que le patriarche sanctionne et approuve l'existant. La confrérie lui demandait en particulier de confirmer le droit des laïques à rechercher par eux-mêmes la vérité dans les livres ecclésiastiques et à interpréter la tradition, revendication qui était source de conflit entre les gens des villes et le clergé: "Comment convient-il aux laïques de raisonner sur ces questions, s'ils voient des prêtres et des évêques corrupteurs, simoniaques, vendant le Christ, faisant commerce de Dieu, dénigrant et interdisant l'étude, maudissant ceux qui étudient, approuvant les fauteurs de désordre et ceux qui haïssent l'étude en disant que toute âme simple est bénie et considérant que l’étude de nombreux livres est scandaleux; une telle accusation, comment sera-t-elle refutée?" La confrérie recherchait un rapport de piété authentique avec l'eucharistie, ce dont, à son avis, le clergé ne se préoccupait pas: "Si les prêtres communient sans dignité, sans humilité, sans faire preuve d'un repentir complet, ou même d'aucun repentir et si l'évêque consent à cela, parce qu'ils considèrent le corps et le sang du Christ comme une chose insignifiante ?" La confrérie était prête à assumer la responsabilité de dénoncer les prêtres indignes: "Convient-il de révérer tous les prêtres - ou d'honorer ceux qui sont bons et de se détourner des mauvais et comment se détourner de ceux qui sont ivrognes, fornicateurs, bigames, magiciens, faut-il dire cela à l'évêque, ou lui écrire et si l'évêque n'en a cure, prête main forte aux iniques, soulève et enseigne foules de trublions, que faut-il faire?" Toutefois, il ne s'agissait pas seulement du contrôle des confréries sur les prêtres et du droit d'interpréter l'enseignement de l'Eglise. La confrérie était prête à assumer la surveillance de la vie religieuse des paroissiens eux-mêmes: "Si les évêques n'ont cure de l'édification des gens, comment les laïques doivent-ils faire: s'organiser, ou bien quitter l'église, ou laisser l'iniquité et le désordre régner en vain, sans aucun espoir, comme à présent; nous écrivons cela, non par goût de la polémique, mais parce que nous sommes dans une grave nécessité, car tout ce que nous décrivons dans ce document se passe effectivement chez nous". Quelles étaient les aspirations proprement religieuses et spirituelles des membres de la confrérie? On peut trouver une réponse partielle dans la même lettre que la confrérie de L'vov adressa au patriarche Théolipte en 1586. Les deux premières questions qu'elle pose au tout début du texte concernent la lecture en commun et l'interprétation des textes patristiques, ainsi que le droit de s'investir dans le domaine de la littérature religieuse. "S'il convient aux chrétiens laïques qui sont des artisans, les jours de fête, après les prières usuelles et la sainte messe, de s'assembler et de lire en commun les saints livres de Basile le Grand, de Grégoire le Théologien, de Jean Chrysostome et d'autres saints hommes, conformément aux règles des apôtres et des saints Pères? S'il convient aux laïques qui étudient les Saintes Ecritures de se parler et de s'écrire à propos des bonnes actions, de s'efforcer sur la voie de la piété"[13]. Les membres de la confrérie se préoccupaient aussi de la piété rituelle, du rapport aux pratiques que nous appellerions aujourd'hui des survivances païennes et des traditions magiques. Ils demandaient en particulier au patriarche: "S'il convient à Pâque, jour de la Résurrection du Christ, d'apporter à l'église du pain, de la viande de porc, des œufs et du raifort, de les faire bénir par le prêtre, car nous appelons cela "saint" et nos pasteurs nous enseignent à lui donner le nom de Pâque et, par conséquent, sous couvert de vénérer le Christ, nous glorifions de la viande de porc, du pain, des œufs et du raifort en disant "Pâque" etc., et qu'à cause de cela les pratiques magiques se développent chez nous ? Et si un chrétien, instruit dans la loi, refuse de [faire] consacrer les Pâques susdites, nos instructeurs et nos pasteurs le chassent de l'église et le condamne comme hérétique. Quant aux Grecs qui vivent avec nous et ne consacrent pas des Pâques semblables, eux aussi sont appelés hérétiques chez nous. Nous demandons que toi, notre pasteur, tu nous donne ton opinion par écrit, particulièrement sur cette Pâque, car nombreux sont ceux parmi nous, chrétiens, qui sont punis, par les chaînes et par les coups, et les prêtres fulminent contre eux en l'église, comme s'ils étaient hérétiques. Explique nous si nous subissons cela pour la vérité, ou bien en vain, afin que nous ne souffrions pas en vain"[14]. Cette question, comme nous le voyons et comme nous le verrons plus loin, préoccupait extrêmement les orthodoxes de L'vov et provoquait de graves conflits dans la ville. Le rite de consécration de la Pâque en tant que tel n'était pas en cause, mais l'opposition entre une approche semi-magique et une approche, pour ainsi dire "spiritualiste" de la piété chrétienne. Ce problème était crucial dans l'histoire religieuse de l'Europe à cette époque. Le fait qu'il fut posé dans les pays ukraino-biélorusses non pas par le clergé, mais par les laïques, nous rappelle une fois de plus la spécificité des traditions religieuses orthodoxes et montre que les équivalents orthodoxes de la devotio moderna étaient profondément ancrés chez les orthodoxes habitant les villes ruthènes à la fin du XVIe siècle. Dans leur critique de l'état de l'Eglise orthodoxe, les confréries n'étaient pas moins féroces que les dissidents des années soixante et soixante-dix du XVIe siècle[15]. L'auteur de «Perestroga», par exemple, ne dissimulait presque pas ses sympathies envers les protestants. Il connaissait très bien la littérature protestante, se déclara convaincu de ce que la confrérie de Vilna était étroitement liée avec les protestants et de ce que ces derniers défendaient les orthodoxes à la diète; bref, pour citer K. Studinskij, il considérait les protestants comme les meilleurs amis de l'orthodoxie[16]. De son côté, la littérature polémique anti-orthodoxe dénonçaient des tendances ouvertement hérétiques au sein des confréries. C'est ainsi qu'Hypace Potej, s'adressant aux orthodoxes de Brest-Litovsk le 3 octobre 1596[17], accusa les membres de la confrérie de Brest d'ignorer les offices liturgiques, d'organiser à leur domicile des réunions de prière "de façon secrète et hérétique" et de visiter les "temples hérétiques" (ereticeskie boznicy) [18]. Dans son «Antirresis», Potej affirmait que certains membres des confréries traitaient ceux qui fréquentaient les églises orthodoxes des "idolâtres" (balvochval‘cy) et disaient que les églises étaient des "cavernes" (vertepy) qu'il ne fallait pas visiter[19]. Potej ajoute qu'un tailleur, membre de "cette confrérie impie et insubordonnée", se serait présenté lors d'une controverse religieuse comme St- Jean le Baptiste (predteca) et aurait appelé son compagnon "le vrai Christ". Leur adversaire ne supporta pas ce blasphème et frappa son auteur d'un coup de botte au visage[20]. Ceux qui s'opposaient au mouvement des confréries accusaient fréquemment leurs adversaires de propager l'hérésie[21]. Comment qualifier l'idéologie du mouvement des confréries ? Ses contradictions compliquent le travail des chercheurs. Les uns voient dans les confréries "une forme spécifique que prit la Réforme dans les pays orthodoxes"[22], les autres, au contraire, y voient une institution incarnant la Contre-Réforme orthodoxe[23]. La difficulté est que la transposition des catégories permettant de classer les tendances, les idées et les institutions religieuses occidentales sur le terrain orthodoxe ne rend pas de façon adéquate les réalités qui se sont développées à partir de la tradition orthodoxe. Certes, l'on peut trouver dans l'idéologie et la pratique religieuse des confréries ukraino-biélorusses de nombreux traits qui les apparentent au protestantisme européen. Cela se sent en particulier dans la revendication du droit des laïques à administrer l'église et même à diriger le clergé. Indiscutablement, cette aspiration remet en question les fondements même de l'ordre ecclésiastique traditionnel et n'est quasiment pas différente de la position protestante sur le "sacerdoce universel". Il faut toutefois souligner que les pouvoirs sacramentaires des évêques et l'autorité suprême du patriarche de Constantinople ne furent jamais remis en question. En d'autres termes, les confréries, si radicales qu'elles fussent, se distinguaient des communautés protestantes. Elles restaient un phénomène spécifiquement orthodoxe, demeurant dans les limites canoniques de la tradition chrétienne orientale et s'appuyant sur les particularités confessionnelles de l'ecclésiologie orthodoxe. Naturellement, au sein de l'Eglise catholique des groupes de laïques dotés de pouvoirs aussi étendus ne pouvaient exister. On voit donc bien pourquoi Balaban appelait les prêtres des confréries des Luther[24] et pourquoi Potej (par l'intermédiaire de «Perestroga») disait que "les confréries nouvelles, inouïes et contraires aux canons" avaient acquis "ce pouvoir qui revient aux évêques dans leur diocèse. Ces esclaves, dans leur sottise, s'attribuent une telle éminence, ils ne veulent obéir ni à leurs évêques, ni à leurs prêtres, provoquent des conflits, des querelles et des effusions de sang et troublent le peuple"[25]. Potej ne pouvait pas admettre en particulier que les membres des confréries aient le droit, de prêcher, ou l'usurpent dans la pratique. Il écrivait avec chaleur dans l' «Antirresis» que "ces gens, qui sont des laïques, abandonnent, pour certains, l'alêne et le fil, leur véritable métier, et prêchent la parole de Dieu, sans en avoir reçu mission[26]". Dans l'ardeur de la polémique, les adversaires des confréries leur attribuaient les mots d'ordre suivants : "Ne pas craindre Dieu, tenir le roi pour rien, ne pas obéir aux autorités de la ville"[27]. Un peu plus tard dans le XVIIe siècle, K. Sakovic, qui avait été quelque temps prédicateur de la confrérie orthodoxe de Lublin, déclarait que l'Eglise orthodoxe était administrée de façon contre nature (contra naturam), parce que "ce n'est pas le clergé qui dirige le peuple, mais au contraire, le peuple qui dirige le clergé» («non clerus populum, sed populus clerum dirigit»)[28]. Meletij Smotrickij, lui aussi se montra hostile aux confréries[29]. L'un des buts du voyage qu'il entreprit à Constantinople dans les années vingt du XVIIe siècle était d'obtenir une charte qui aurait supprimé le statut de stavropégie dont les confréries bénéficiaient. Meletij réussit dans son entreprise, mais cela ne fit que jeter de l'huile sur le feu[30]. L'activité des confréries orthodoxes ukraino-biélorusses est en rapport très étroit avec la genèse de l'Union de Brest et l'apparition de l'Eglise catholique de rite grec en Ukraine et en Biélorussie. De ce point de vue, il importe moins savoir à quel point les confréries étaient proches de la Réforme, que de comprendre leur influence sur la situation de l'Eglise et ce qu'elles poussèrent le clergé à faire. Aux yeux de la hiérarchie orthodoxe de la République, ses rapports avec les confréries et la lutte qu'elle devait mener contre elles pour l'hégémonie, ou même pour l'exercice du pouvoir au sein de l'Eglise devinrent le principal et le plus douloureux problème du moment. On devine aisément que le conflit entre le clergé et les confréries devait s'envenimer et pouvait devenir une des motivations principales, si ce n'est la motivation principale, poussant les évêques orthodoxes à l'Union. En fut-il ainsi? On peut le voir à travers l'histoire des rapports du clergé et des confréries dans les années 1586-1594. A cet égard, les relations entre la confrérie de L'vov et l'évêque orthodoxe de la ville Gédéon Balaban sont exemplaires.
La première phase du conflit entre le clergé et les confréries (1586-1590) Gédéon Balaban fut ordonné évêque vers 1576 et, pendant dix ans, il entretint des relations pacifiques avec la confrérie de L'vov. Mais lorsque, en 1586, le patriarche Joachim confirma le règlement de la confrérie, et lorsque celle-ci manifesta qu'elle prétendait être totalement indépendante de l'évêque, le conflit éclata. Son histoire, fort bien documentée[31], a été étudiée. Sans s'arrêter aux détails, il faut souligner que la confrérie put compter sur le soutien du patriarche de Constantinople. C'est ainsi qu'en novembre 1587, suite à une plainte des membres de la confrérie contre Balaban, le patriarche Jérémie interdit à Gédéon Balaban, sous peine d'excommunication, de s'opposer à la confrérie. Balaban (qui était l'évêque de L'vov!), est appelé dans la missive "meutrier", "ennemi du bien", accusé de se comporter "comme un ennemi de Dieu, étranger à sa foi"[32]. Au cours des années qui suivirent, le conflit s'aggrava, touchant à un éventail de questions de plus en plus large. L'affrontement opposant les laïques et le clergé prit un accent tout à fait nouveau à l'occasion des deux visites que le patriarche Jérémie effectua en Ukraine et en Biélorussie en 1588-1589. C'était un événement tout à fait extraordinaire, car il s'agissait de la première visite de ce genre dans toute l'histoire des rapports entre le patriarcat de Constantinople, Kiev et Moscou. Jérémie lui-même était une personnalité hors du commun[33]. En 1589, il considéra son voyage en terre ukraino-biélorusse comme une sorte de visite épiscopale. Il adressa une lettre au roi de Pologne Sigismond III, lui demandant d'autoriser cette inspection[34], et reçut une réponse positive. Le 21 juillet, il publiait une encyclique annonçant la déchéance de tout prêtre qui se serait marié en secondes noces. Cette décision fut suivie d'une autre, plus importante encore, la déposition du métropolite Onésiphore Devocka. Les raisons de cette déposition et les circonstances dans lesquelles elle fut rendue publique sont obscures. Les décisions prises par Jérémie qui, de son propre aveu, porté sur l'un des documents qu'il signa, ne savait "ni le russe ni les langues slaves" était hautement contradictoires. A cet égard, il était particulièrement étrange de nommer K. Terleckij exarque de la métropole de Kiev et de lui conférer un pouvoir au moins équivalent à celui d'un métropolite. Son statut d'exarque était défini comme "celui qui jouit de la séniorité sur tous les évêques"[35], qui est "l'aîné en matière spirituelle, domaine dans lequel il corrigera tous les évêques, il examinera et inventoriera tout ce qui est en usage parmi eux et il destituera ceux qui sont indignes, agissant comme notre vicaire." Une autre charte, datée de novembre 1589, contient une série de dispositions concernant le règlement de la confrérie de L'vov. Il est question du fait qu'elle n'est pas soumise à l'autorité épiscopale, de son droit exclusif de posséder une école, d'imprimer à sa guise des livres, d'élire et de destituer des prêtres etc. C'est visiblement à ce moment-là que Jérémie se pencha de nouveau sur la querelle opposant la confrérie et l'évêque Balaban à propos du monastère Saint-Onuphre et que fut publiée une charte proclamant que cette abbaye était exempte de la juridiction épiscopale[36]. C'est très probablement aussi de cette période que date une autre charte, que Jérémie se contenta de signer, qui confirme les privilèges que le patriarche Joachim avait octroyés à la confrérie de L'vov[37]. Sur tous les points qui opposaient l'évêque à la confrérie, le patriarche prit le parti de cette dernière. On connaît plusieurs autres chartes qui ont un rapport plus ou moins direct avec Jérémie. Certaines semblent authentiques, d'autres non. Quoi qu'il en soit, les sources que nous avons conservées ne nous donnent pas une image complète, ni fiable, de l'activité du patriarche entre août et novembre 1589. Toutefois, ce que l'on en connaît aujourd'hui suffit à nous faire comprendre que le bilan des deux visites pastorales de Jérémie dans la métropole de Kiev fut très contrasté. On peine à comprendre les motivations de beaucoup de ses actions qui nous sont connues. Il est pourtant clair que les décisions du patriarche et les documents qu'il valida de sa signature aggravèrent, si elles ne les provoquèrent pas, les discordes au sein de la hiérarchie ecclésiastique de la métropole de Kiev. En outre, elles envenimèrent nettement le conflit entre les évêques et les confréries. Enfin, malgré les bonnes intentions du patriarche, elles ne contribuèrent que peu, ou pas du tout à faire sortir l'Eglise de la crise. Quelle fut la réaction des évêques orthodoxes ? On a du mal à croire qu'ils n'entreprirent rien de leur propre chef, vu l'état des choses après le départ de Jérémie. En effet, à la suite des visites du patriarche, le rôle des confréries, et donc des laïques en général, se développa considérablement. Elles disposaient de pouvoirs sans précédent et d'une indépendance presque totale vis-à-vis des évêques. D'autre part, l'administration de l'Eglise était désorganisée, sans qu'aucun des problèmes qui se posaient à elle fût résolu. Vu l'ampleur de la crise, devenue évidente lors des visites de Jérémie, le métropolite Ragoza décida de prendre l'initiative et d'initier des transformations au sein de l'Eglise orthodoxe. Il réunit une assemblée du clergé orthodoxe à Belz et convoqua, entre 1590 et 1594, une série de synodes qui, pour autant qu'on puisse en juger, constituèrent la réponse de l'épiscopat non seulement aux besoins de l'Eglise en général, mais aussi aux actions concrètes du patriarche et des confréries. La première grande étape fut le synode réuni à Brest-Litovsk en juin 1590. Il décida d'entreprendre des réformes dans la métropole de Kiev. Après sa conclusion, le 24 juin 1590, un groupe d'évêques signa une déclaration annonçant qu'ils étaient prêts à passer sous la juridiction du pape. Dans l'ensemble, si nous examinons nos informations sur le concile de 1590 et la déclaration du 24 juin 1590 dans le contexte de ce que nous connaissons sur l'affrontement entre deux partis au sein de l'Eglise orthodoxe, nous pouvons à bon droit affirmer que c'est précisément cet affrontement qui poussa une partie des dignitaires de l'Eglise à faire un pas dans une direction tout à fait nouvelle, se rapprocher de Rome et tenter de passer sous la juridiction pontificale[38]. Les efforts entrepris pour transformer l'Eglise en s'appuyant sur le clergé que les évêques avaient entrepris en 1590 furent poursuivis lors des synodes de 1591, 1593 et 1594. Le dernier cité joua un rôle particulièrement important dans la vie sociale et religieuse comme dans la genèse de l'Union de Brest[39]. Certes, ne vinrent à Brest que trois membres du haut clergé, le métropolite Ragoza et deux évêques, Hypace Potej et Cyrille Terleckij. Pourtant, le synode rassembla un grand nombre de participants, grâce à la forte représentation du moyen et du bas clergé et grâce aux délégations de certaines confréries (de Vilna, L'vov, Brest, Krasnostav, Gol‘sany, Gorodec, Galic, Bel'sk "et de beaucoup d'autres")[40]. Pour bien comprendre le déroulement et l'importance du synode, il existe un document-clé, l'«Instruction» donnée aux délégués de Vilna, qui porte la signature de nombreux dignitaires du Grand-duché (grande-principauté) de Lituanie[41]. Cette «Instruction» exposait un programme de réforme de l'Eglise orthodoxe. Il paraît fondé de considérer ce document comme l'expression des vœux non seulement des délégués de Vilna, mais aussi du mouvement des confréries dans son ensemble. En effet, l'Instruction de Vilna traitait avant tout de la place et du rôle des confréries dans l'Eglise orthodoxe. Elle exigeait que soient confirmés les droits et statuts des confréries qui avaient été approuvés par le patriarche, le métropolite, les évêques; en revanche, elle voulait "interdire et éradiquer certaines confréries adverses (przeciwne) et imparfaites, fondées par des évêques", afin que demeure seulement "une confrérie ecclésiastique unique et authentique". Il convenait de châtier pour leurs actions hostiles les adversaires des confréries, qu'ils s'agît de laïques ou d'un évêque. Parmi ces adversaires, l'Instruction désignait nommément les évêques de L'vov et de Przemysl. En référence à des actions récentes de Gédéon Balaban, l'Instruction exigeait qu'on empêche et châtie la soumission de cas concernant la discipline ecclésiastique au tribunal du "chapitre romain" et de l'archevêque catholique de L'vov. Chaque confrérie devait avoir son église, dotée de prêtres avec la bénédiction du métropolite, et son école. Et les autres écoles devaient être interdites. Il fallait implanter des confréries et des écoles, avec des "prêtres instruits" dans chaque chef-lieu, "pour que les gens du peuple ne périssent pas à cause [de l'influence] des hérétiques divers". En ce qui concerne le droit d'imprimer des livres, il devait être le monopole des confréries de L'vov et de Vilna. Le métropolite, les évêques et les abbés des monastères devaient donner chaque année des fonds pour les écoles, les imprimeries et d'autres besoins. Les revenus des bénéfices ecclésiastiques vacants à la suite du décès de leur titulaire devraient aussi être affectés à ces postes. Il était prévu de désigner comme gardien et, sans doute, administrateur, de ces ressources, non plus Terleckij (ce qui avait été décidé lors du synode de 1591), mais l'évêque de Brest, Potej. Plusieurs points de l'«Instruction» concernaient directement le clergé et ses affaires propres. L'«Instruction» accusait ouvertement "les évêques" de ne pas disposer des biens d'Eglise conformément à leur affectation, mais de les piller et d'y vivre "avec leurs femmes et leurs proches". Elle exigeait qu'il fût mis fin à ces abus et qu'on affectât les revenus des biens à la promotion "des écoles et des sciences", à l'entretien "des prêcheurs et de prêtres dignes", à la construction d'asiles pour les orphelins, d'hôpitaux et d'églises. Elle accusait encore les évêques de s'être emparés des biens monastiques, à la suite de quoi des abbayes avaient été abandonnées. Il convenait de nommer des abbés dans ces monastères vides et d'y introduire de nouveaux moines. Les délégués exigeaient encore l'unification des normes du droit canon, car les divergences sur "la façon d'enseigner et de juger" offensaient la foi et détournaient les gens de l'Eglise. Il fallait convoquer des synodes ecclésiastiques chaque année. La délégation de Vilna demanda l'approbation de toutes ces exigences par le synode de Brest. Pour d'autres revendications, il était prévu que le métropolite et les évêques les soumettraient à l'examen des membres de la diète du Grand-duché, puis à la Diète du royaume qui adopterait en conséquence une constitution. Le point le plus important parmi ces dernières revendications concernait la désignation des évêques et du métropolite. Les rédacteurs de l'«Instruction» manifestaient leur vœu de voir élevés à l'épiscopat des candidats dignes et de voir cesser la pratique de l'achat des bénéfices. Ils exigeaient que l' "élection" (elekcija) d'un nouvel évêque soit faite un jour précis, en un endroit précis, par le métropolite et les autres représentants du clergé, "du consentement des laïques" (za consensem swieckich ludzi). Il devait en être de même pour désigner le métropolite. Une autre disposition de ce point de l'«Instruction» prévoyait que le tribunal comprendrait trois représentants du clergé orthodoxe et trois laïques orthodoxes. Une troisième disposition prévoyait d'interdire aux évêques d'abandonner entre les mains de laïques leur pouvoir judiciaire en "matière spirituelle", c'est-à-dire en ce qui concerne les divorces et d'autres questions. Ainsi, l'Instruction envisageait de continuer à réformer l'Eglise orthodoxe en divers domaines. Mais, dans ce processus, c'étaient les laïques, représentés par les confréries, qui jouaient le premier rôle. Et, si quelques dispositions prévoyaient de renforcer le statut et l'influence du clergé, dans l'ensemble, l'«Instruction» constituait une grave menace pour son pouvoir. L'épiscopat, en tant que corps, était soumis à une critique sévère. L'élection des évêques devenait dans les faits une prérogative de la noblesse, et ce serait à l'avenir la norme. On prévoyait de sérieusement limiter leur droit de disposer des biens d'Eglise. Bref, il s'agissait d'une réorganisation fondamentale des rapports de pouvoir au sein de l'Eglise. Or, comme l'«Instruction» prévoyait de limiter nettement les pouvoirs du clergé, tout en renforçant le rôle des laïques, elle remettait en cause le consensus auquel les représentants de l'Eglise et des laïques étaient parvenus à Brest, en 1591. On voit donc que les synodes de 1590, 1591, 1593 et 1594 jouèrent un rôle considérable dans l'histoire de l'Eglise orthodoxe ruthène. B.N. Florja a parfaitement raison de souligner que l'histoire des synodes tenus à Brest pendant les années quatre-vingt-dix du XVIe siècle, synodes qui mirent en route de profondes et considérables transformations au sein de l'Eglise, constitue la préhistoire de l'Union de Brest[42]. Les décisions des synodes de Brest, comme l'a justement dit L. Bienkowski, "constituaient un vaste programme de réforme de l'Eglise"[43], dont le but était de renforcer considérablement l'indépendance du haut clergé vis-à-vis des laïques et de la monarchie, de rehausser l'autorité des évêques au sein de l'Eglise, de donner une beaucoup plus grande ampleur aux activités de formation et d'enseignement, de rendre plus stricte la discipline au sein de l'Eglise. C'est précisément la combinaison de ces efforts de rénovation entrepris par le clergé, d'un côté, et des ambitions réformatrices concurrentes des confréries, de l'autre, qui définissent le contexte historique immédiat dans lequel fut élaboré le programme orthodoxe d'Union des Eglises. Et, bien entendu, le contexte en question définit le contenu de ce programme. Indubitablement, les évêques orthodoxes ont eu recours à l'idée de l'Union en réponse à l'action des confréries et au déroulement des synodes du début des années quatre-vingt dix du XVIe siècle.
Ce que nous venons de dire nous permet de conclure que l'une des tendances les plus importantes du développement de l'Orthodoxie en pays ukraino-biélorusse au XVIe siècle fut l'envenimement du conflit entre le clergé et les laïques. De par sa nature, ce conflit est unique en son genre. Il évolua suivant des formes inconnues, tant dans l'Occident latin (vu les spécificités culturelles et confessionnelles du catholicisme) qu'en Russie ou à Byzance (vu que la vie de l'Eglise y était réglée par les autorités temporelles). Sur le territoire de la République Polonaise, la source de ce conflit fut l'existence du patronat privé qui remplaçait d'une certaine façon la protection de l'Etat. L'évolution des rapports entre les laïques et le clergé dépendait donc de deux facteurs: d'un côté, la spécificité des traditions orthodoxes, de l'écclésiologie orthodoxe, et des institutions au sein desquelles, en conséquence, la vie de l'Eglise se déroulait; de l'autre, les conditions particulières qui déterminaient le fonctionnement de la société et de l'Etat au sein de la République Polonaise. Quelles furent les causes de cette crise? Certes, l'influence des protestants fut très forte, mais elle ne peut être retenue comme la cause de la crise qui éclata à la fin du XVIe siècle. Je me risquerai à affirmer que cette crise fut le résultat de la tendance, analogue à Konfessionsbildung comme première phase de la "confessionnalisation orthodoxe"[44]. Il s'agit en premier lieu, d'une prise de conscience confessionnelle, en second lieu, de tentatives des autorités laïques et ecclésiastiques de soumettre la vie des paroissiens à ces normes religieuses qui étaient élaborées au cours du processus de confessionnalisation. Considérant la spécificité des traditions orthodoxes, il paraît impossible de parler de "Réforme orthodoxe", ou "d'analogues orthodoxes du protestantisme". Comme on le voit, les traditions du christianisme byzantin, sous la forme qu'elles avaient prises en Ukraine et en Biélorussie étaient à ce point spécifiques que des concepts empruntés au vécu du christianisme occidental ne peuvent rendre de façon adéquate ce qui se passait au sein de la culture orthodoxe.
[1] И.Е. Флеров. О православных церковных братствах, противоборствовавших унии в Юго-Западной России в XVI, XVII и в XVIII в. СПб., 1857; М.О. Коялович. Чтения о церковных западнорусских братствах. М., 1862; А.В. Лонгинов. Памятник древнего православия в Люблине. Православный храм и существовавшее при нем братство. Варшава, 1883; Д. Сцепуро. Виленское Свято-Духовское братство в XVII и XVIII столетиях» // Труды Киевской Духовной Академии, 1898, № 9, 11; 1899, № 4, 6, 8, 9 (edition а part: Киев, 1899); А. Папков. Братства. Очерк истории западнорусских православных братств. Сергиев Посад, 1900; А.С. Крыловский. Львовское ставропигиальное братство (опыт церковно-исторического иссследования). Киев, 1904; Я.Д. Iсаєвич. Братства та їх роль в розвитку української культури XVI - XVIII ст. Київ, 1966, с. 16-32 (bibliographie); Я.Д. Iсаєвич. Найдавнiшi документи про дiяльнiсть братств на Українi // Я.Д. Iсаєвич. Україна давня i нова. Народ, релiгiя, культура. 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Типология происхождения братств Украины // Историко-филологический вестник Украинского института. М., 1997, т. 1, с. 113-116. [2] Я.Д. Iсаєвич. Братства та їх роль… С. 32. [3] Voir: M.V. Dmitriev, «Кtre orthodoxe en Ruthйnie (Ukraine, Biйlorussie) au XVIe siиcle: les institutions et le vйcu chrйtien» dans l’ouvrage prйsent. [4] W. Milkowicz, ed. Monumenta Confraternitatis stauropigianae Leopoliensis. T.1, Leopolis, 1895, p. 113–119; Памятники, изданнные Киевской археографической комиссией (далее – ПКК). T. 3, № 1, c. 3-11. [5] «Сим всем законне писаным епископ не имает противитися сему праву, от нас духовне церкви сей в вечныя роды, ани противитися яковыми правы, от земнаго царства надаными, по внешнему обычаю; но закона духовного писаным повинутися без всякого прекословия» (art. 40). [6] ПКК. Т.3, № 2, с. 11-12. [7] ПКК. Т.3, № 3, с. 13. [8] Voir: Собрание древних грамот и актов городов: Вильны, Ковна, Трок, православных монастырей, церквей и по разным предметам. Ч. 2, Вильно, 1843. Сomparaison des reglements: А.С. Крыловский. Львовское ставропигиальное братство. С. 41-42. [9] ПКК. Т.3, № 4, с. 14-16. [10] ПКК. Т.3, № 5, с. 16-19. [11] L. Bieńkowski. Organizacja kosciola wschodniego w Polsce // Kosciół w Polsce, vol. 2, Wieki XVI-XVIII, Kraków, 1969, s. 831-833. [12] Monumenta Confraternitatis, p. 140-142. [13] Monumenta Confraternitatis, p. 140. [14] Monumenta Confraternitatis, p. 142. [15] Voir, par exemple, «odezwa bractwa», cite par Zubrickij: Kronika Bractwa Stauropigianskiego Lwowskiego podlug dokumentow i aktow starodawnych spisana przez D. Zubryckiego w roku 1847, in Archives de l’lnstitut d’histoire de Russie, Departement а Saint-Petersbourg, fonds 57, (collection de D. Zubrickij), № 46, p. 46-47. [16] К. Студиньский. Перестрога. Руський пам’ятник початку XVII в. Icторiчно-лiтературна студiя. Львiв, 1895, с. 142. [17] Русская Историческая библиотека. Т. 7, кол. 1775-1778. [18] Ibid., col. 1776, 1778. [19] Ibid., t. 19, col. 939. [20] Ibid., t. 19, col. 941. [21] Ibid., t. 7, col. 1774, 1775-1778; t. 19, col. 935 - 936 passim. [22] В. М. Ничик. До питання про схоластинiсть фiлософських курсiв у Києво-Могилянської академiї // Вiд Вишенського до Сковороди (З iсторiї фiлософської думки на Українi 16-18 ст). Київ, 1972. С. 65. Selon Ja. Isajevic, «сonfraternities which, at least in most cases, were anticlerical and sometimes even adhered to the semi-protestant concept of lay control of priests and bishops» (Ia. Isaievych. Between Eastern Tradition and influences from the West, p. 279). [23] I. Ja. Franko, d’une part, йstimait que les confrйries йtaient «imprйgnйes par l’esprit de la Rйforme occidentale («пропитаны западноевропейским реформационным духом», in I. Франко. Зiбрання творiв у п’ятдесяти томах. Т. 27, Київ, 1981, с. 319); d’autre part, il les qualifia d’йquivalent de la Contre-Rйforme catholique (I. Franko. Charakterystyka literatury ruskiej XVI - XVIII w. // Kwartalnik historyczny, 1892, zeszyt 4, p. 697). [24] Monumenta Confraternitatis Leopoliensis, № 130, p. 202. [25] Акты, относящиеся к истории Западной России. T. 4, Saint Petersbourg, 1851, p. 222. [26] Русская Историческая библиотека. T. 19, кол. 937. [27] Ibid., т. 19, кол. 1171. [28] С.Т. Голубев. Киевский митрополит Петр Могила и его сподвижники. Т.1, Киев, 1883, с. 122. [29] Ibid., с. 124-125. [30] Макарий (Булгаков). История Русской Церкви, кн. 6, Период самостоятельности Русской Церкви (1589 -1881). Патриаршество в России ( 1589 -1720). Отдел первый. Патриаршество Московское и всея Великия России и Западнорусская митрополия (1589 -1654). Москва, 1996, с. 440. [31] Monumenta Confraternitatis, № 105, p. 166-168; № 107, p. 170-171; № 109, p. 172-173; № 124, p. 196-197; № 130, p. 202-203; № 148, p. 220-232; № 149, p. 233-236; Архив Юго-Западной России, ч. 1, т. 10, с. 92-106; т. 12, с. 500-526. Sur ce conflit voir: А.С. Крыловский. Львовское ставропигиальное братство; А.С. Крыловский. Предисловие // Архив Юго-Западной России, ч. 1, т. 11, с. 108-158. [32] «мы есмо судили и правдиве досведчивши знашлисмы тя убийцу и ненавистника добру, не як зверхность духовная поступуешь, але як враг божий и чужий веры его» (Monumenta Confraternitatis, № 94, p.150). [33] Voir: G. Podskalski. Griechische Theologie in der Zeit der Turkenherrschaft (1453-1821). Die Orthodoxie im Spannungsfeld der nachreformatorischen Konfessionen des Westens, München, 1988; Б. Гудзяк. Криза i реформа. Київська митрополiя, Царьгородский патриархат i генеза Берестейскої унiї, Львiв, 2000, с. 41-57 (en anglais: B. Gudziak. Crisis and Reform. The Kyivan Metropolinate, the Patriarchate of Constantinople, and the Genesis of the Union of Brest, Cambridge: Harvard University Press, 1998 [Harvard Series on Ukrainian Studies]). [34] Макарий (Булгаков). История Русской церкви, vol. IX, livre 4, История Западнорусской или Литовской митрополии, Санкт-Петербург, 1879, с. 460. [35] «на знак ласки и благославенства нашего патриаршого...дали есмо ему старшину над всими епископы, то есть, екзаршество» (Акты, относящиеся к истории Западной России, т. 4, № 21, с. 29). [36] ПКК. Т.3, № 6, с. 20-22. [37] ПКК. Т.3, № 4, с. 14-16. [38] Pour l’analyse detaillйe voir: М.В. Дмитриев. Между Римом и Царьградом. Генезис Брестской церковной унии 1595-1596 гг. (sous presse, Editions de l’Universitй Lomonossov de Moscou). [39] Voir en particulier: Б. Н. Флоря. Брестские синоды и Брестская уния» // Католицизм и православиек в Средние века, М., 1991 (Славяне и их соседи. Вып.3), с. 69-73. [40] Voir: Акты, относящиеся к истории Западной России, т. 4, № 21, с. 67. [41] Архив Юго-Западной России, ч. 1, т. 10, с. 497-499. [42] Б. Н. Флоря. Брестские синоды и Брестская уния // Католицизм и православиек в Средние века, с. 59-75; Б. Н. Флоря. Отношения государства и церкви у восточных и западных славян. (Период средневековья). М., 1992, с. 130-152. [43] L. Bieńrkowski. Organizacja koscioła wschodniego w Polsce, p.793. [44] Sur Konfessionsbildung et Konfessiolalisierung, voir: E.W. Zeeden. Die Entstehung der Konfessionen. Grundlagen und Formen der Konfessionsbildung im Zeitalter der Glaubenskдmpfe, Mьnchen-Wien,1965; E.W. Zeeden. Konfessionsbildung. Studien zur Reformation, Gegenreformation und Katholischen Reform, Stuttgart, 1985; H. Schilling. Die Konfessinalisierung von Kirche, Staat und Gesellschaft - Profil, Leistung, Defizite und Perspektiven eines geschichtswissenschaftlichen Paradigmas // W. Reinard, H. Schilling (Hrsg). Die Katolische Konfessionalisierung. Wissenschaftliches Symposion der Gesellschaft zur Herausgabe des Corpus Catholicorum und des Vereins fьr Reformationsgeschichte, 1993. Gьtersloh, 1995 (Schriften des Vereins fьr Reformationsgeschichte. Bd. 198), S. 1-49; W. Reinard. Papautй, confessions, modernitй. Paris: EHESS, 1998.
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